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Spoutnik
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2 février 2004

Dimanche 1er février 2004

Je suis assis sur une chaise. Il est 1:30 du matin. Je place mes pieds sur le cadre du lit, à côté des roues. J'étends mes jambes. Je regarde mes chaussures. Je regarde ma montre. J'ai remonté, il y a quelque temps déjà, la ridelle du lit afin qu'elle ne risque pas d'en tomber, si je venais à m'endormir. Je sais que je suis fatigué depuis quelques jours et lorsque je ferme les yeux, je sombre rapidement. Elle pourrait se retourner sans que je m'en aperçoive et glisser. Je tiens sa main dans la mienne. J'en caresse doucement le dos avec mon pouce, comme je le fais depuis qu'elle s'est endormie. Sa respiration est régulière, fascinante. J'ai depuis longtemps calqué ma propre respiration sur la sienne. Dans les couloirs autour, les cris de douleur ou de terreur des enfants se font maintenant plus rares. Les pas des infirmières sont plus lents. Cela fait une heure que personne n'est entré dans la pièce. Les urgences entrent en sommeil. Nous sommes dimanche soir, à l'hôpital Armand Trousseau, 75012 Paris.

Le vomitif avait agit 15 minutes après son absorption, aux alentours de 22 heures. Comme elle avait refusé de le boire par elle-même, en raison notamment d'une odeur atroce, j'avais dû utiliser une seringue pour lui faire prendre. Le plus difficile fut de lui faire boire, par la suite, le grand verre de "jus d'orange qui pique". A force de persuasions et sous la menace de réutiliser la seringue, elle avait accepté, à bout de force, de le boire toute seule. Je m'énervais des circonstances qui nous voyaient être là cette nuit. Lorsque tout le monde avait eu le dos tourné, elle avait avalé cul sec une demie bouteille d'efferalgan et désormais, lorsqu'on lui demandait de boire un médicament "antidote", elle le refusait en hurlant ! Pourquoi l'un et pas l'autre, c'est ça qui m'énervait.

La première prise de sang avait été faite vers 21:45, la seconde a été pratiquée à 0:45, soit exactement quatre heure après l'absorption par cette petite fille d'une quantité importante, mais indéterminée, d'efferalgan, pouvant aller jusqu'à 50 ml. Ces quatre heures correspondent m'a-t-on dit au pic de paracétamol dans le sang. Elle ne s'est même pas réveillée lorsque l'infirmière a rempli le tube à analyse depuis le cathéter. La première fois, les résultats étaient revenus du laboratoire au bout d'une heure. Les résultats de la seconde prise de sang n'allait pas tarder à arriver.

Elle a beaucoup pleuré. Elle a eu mal. Elle a beaucoup réclamé sa maman et son doudou. Elle a rigolé aussi. Elle a voulu que je lui raconte une histoire de mimi qu'elle a ponctué de langoureux "encore", m'obligeant à imaginer des suites de plus en plus alambiquées. Puis elle s'est endormie sa main dans la mienne.

Je commence à somnoler. Je pense à cette petite fille très calme au moment de voir tout le monde courir autour d'elle, soit vers le téléphone, soit vers les habits, soit les deux. Je pense au chauffeur de taxi qui a traversé tout l'arrondissement en grillant systématiquement tous les feux rouges. Je pense à notre système de santé et à la chance que nous avons de l'avoir. Je pense à ce que l'on croise dans les hôpitaux la nuit, à savoir la détresse et le dévouement. Je pense que tout le monde devrait habiter à moins de 15 minutes d'un service d'urgences pédiatriques. Je pense à ma Moitié qu'il me faudrait appeler, mais je ne peux pas utiliser le téléphone portable aux urgences et je ne veux pas laisser toute seule la petite fille qui dort. J'avais déjà demandé à une infirmière de la surveiller il y a quelques temps et je suppose qu'elles ont autre chose à faire. Et j'attends les résultats. Je pense aux accidents domestiques, une des principales cause de mortalité des enfants en France. Je pense que je dois attendre les résultats des analyses avant de réfléchir aux conséquences. Je sais que cela peut se situer entre "rien du tout" et "le foie risque d'être atteint, elle reste en observation". Cela ne sert à rien de se poser des questions sordides. Attendre les résultats, calmement. Je pense que j'ai plein de choses à faire cette semaine et que c'est une tuile inattendue, mais que ces "pleins de choses à faire" ne valent pas grand chose comparées à cette petite main dans la mienne. Je pense que c'est bizarre de se retrouver à Trousseau ...

Je pense encore. Lorsque le médecin entre, il est 1:45. Elle est brune avec la peau très blanche, presque pâle. Elle n'a pas besoin de me réveiller. Je la regarde et je me dis que le destin d'une petite fille est suspendu aux premiers mots qu'elle va prononcer. Sans émotion visible, elle me dit que tout va bien. Que les taux sont acceptables. Que nous pouvons rentrer. Elle demande à une infirmière d'enlever les appareils. Elle a esquissé tout de même un sourire, à un moment. Je sais qu'elle aurait eu la même expression si les résultats avaient été diamétralement opposés. Je m'échappe de cette pensée aussi rapidement qu'elle est venue. Elle sort. Je me dis que c'est une affreuse soirée qui finit bien. Je suis content. Nous avons eu de la chance.

Nous rentrons à la maison.

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