Le 31 décembre 1999 : un Réveillon diplomatique

Le corps a ses raisons que la raison ferait mieux de ne pas ignorer. De même, il est des Réveillons diplomatiques. Il est aussi des maladies qui peuvent passer pour diplomatiques. Aujourd'hui, alors que je pète la forme, que ce corps affûté ayant, tout au long de ma vie, fait la joie de mes compagnes de jeux semble se porter comme un charme, alors que je vais ce soir à un Réveillon diplomatique, je ne peux m'empêcher de penser au 31 Décembre 1999.

Ce jour là, le monde était réellement en ébullition. Une réelle folie. Au jeu d'échec, un système de comptabilisation des points a depuis fort longtemps été établi. Si un pion vaut 1 point, la tour en vaut 5 et la reine en vaut 10 ! Là, c'était la même chose. Si un samedi soir ordinaire vaut 1 point, un réveillon ordinaire en vaut 10 et le réveillon du 31 Décembre 1999 valait 1000 points à lui tout seul ! Un réveillon ordinaire est LA soirée stratégique de l'année. Le réveillon du 31 Décembre 1999 était LA soirée stratégique d'une vie !

Par un concours de circonstances étranges sur lequel je serais bien incapable de revenir, je me retrouvais convoqué à un Réveillon diplomatique. Au lever de ce jour fatidique, tout allait bien sinon un petit bruit persistant derrière mon cerveau. Je prêtais l'oreille et au fur et à mesure de la journée je commençais à le percevoir ce bruit de plus en plus distinctement. Cela disait un truc du genre : galère ... galère ... Galère ... GALERE ... G A L E R E ... GAAAA LEEEE REEEE !!!!

Au cours de la journée, à force d'entendre "galère", mon corps à pété les plombs. Vers midi, j'en étais à mon 3ème shoote de ventoline. A 17h, la ventoline ne me faisait d'effet que 5 minutes et ma température était monté à 39°. A 18h, je dus me rendre à l'évidence, j'avais merdé ma soirée stratégique du 31 Décembre 1999 et en plus je m'étais foutu la santé en l'air. A 19h, je fais appeler les "invitants" par ma moitié pour me décommander. Je passe une fois de plus pour un emmerdeur égoïste, qui n'a aucun respect pour ses amis et qui emmerde le monde avec joie. D'ailleurs, je comprends indirectement que tout le monde, sans vraiment le dire, mise sur la nature diplomatique de l'étrange mal qui me serait tombé dessus.

A 20h, alors que la ventoline fait depuis longtemps autant d'effet à mes bronches qu'une horloge à une vache normande, c'est à dire rien, je me résous à faire appeler un médecin. Le bon docteur arrive en urgence, reste une bonne heure avec moi, me fait plein d'injections, passe son temps à écouter mon coeur et mes bronches, puis il m'annonce soudain :
"toi, ton réveillon du 31 Décembre 1999, tu vas le passer aux urgences mon pote ! et c'est pas dans 1 heure, c'est dans 5 minutes !!!" Je suis donc transporté par ma moitié à Saint Antoine, vers 21h. J'y passe la nuit sous masque et perfusion. A minuit, j'ai le droit à la bise de toutes les infirmières du service. Je vois passer le champagne devant moi. Un peu plus j'aurais fait la fête tellement j'étais content de pouvoir respirer sans avoir l'impression constamment de courir pour le record de France du 400 m. plat.

Aujourd'hui, nous sommes le 31 Décembre 2003. Mon corps affûté qui a, tout au long de ma vie, fit la joie de mes compagnes de jeux semble se porter comme un charme. Je vais ce soir à un Réveillon diplomatique. Parmi les invités se retrouvent certaines personnes avec lesquelles je devais passer le Réveillon du 31 Décembre 1999. Je pète la forme. Mais étrange ! Quel est ce petit bruit que j'entends là derrière mon cerveau ? on dirait que cela dit tout doucement "galèreee ...".