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8 janvier 2004

De ses yeux aveugles, le vieil homme contemplait l'éternité

Chensen entra lentement dans la salle d'étude. La grande pièce n'était encore éclairée que par les rayons obliques du soleil pénétrant par les larges ouvertures donnant sur les montagnes. Les hautes colonnes soutenant la charpente se perdaient dans l'ombre de la toiture en pente. Le jeune moine vit que son Maître était assis, comme à son habitude, au milieu de la pièce. Le vieil homme traçait, comme toujours, des calligraphies compliquées avec un long stylet dans un cadre de sable. Il dessinait et redessinait la même lettre parfois des journées entières. Au fond de la pièce, un foyer montrait une pâle lueur. Chensen s'avança sans bruit, jusqu'à se retrouver derrière son Maître. Après une longue minute d'attente respectueuse, il lui posa la question qui le tiraillait depuis quelques heures :
- Vénérable Maître, vous qui vivez la sagesse, dites moi ce que je dois faire ? Vous savez que je n'ai pas désiré cette polémique ! Je ne veux pas voir couler le sang.
Alors le vieux moine, tout à son art, sans même se retourner, lui répondit d'une voix empreinte de douceur :
- Chensen, tu as mal agis. Tu t'es laissé emporter par ton énervement. Tu n'as pas fait preuve de tolérance. Il convient que tu répares ce que tu as brisé.
- Vénérable Maître, je désire réparer, mais que puis-je faire ?
- Dire que tu le regrettes, mais seulement si c'est sincère, dit tranquillement le vieil homme.
Chensen, étonné, eut une réaction un peu brusque. Une fois encore, il venait de perdre le contrôle de ses émotions. Le vieux moine n'avait pu manquer de remarquer ce nouvel écart de conduite. Il réussit tout de même à maîtriser sa voix au mieux.
- C'est sincère, Vénérable Maître, néanmoins la situation est plus complexe que ...
Le Maître eut un geste délicat avec son stylet, intimant à son disciple l'ordre de se taire.
- Ne te préoccupes pas de cela, Chensen. Si tu le regrettes, ce doit être totalement. Tu ne peux être fourbe, rappelles-toi, c'est interdit aux membres de notre ordre. Tu sais également que le regret, à l'image de l'amour, est un sentiment absolu. La relativité d'une situation n'a pas à entrer en ligne de compte. Tu devras, d'autre part, le faire savoir.
- Oui, Vénérable Maître, vous avez raison. Je regrette sincèrement. D'autre part, je le ferai savoir.
Le silence retomba alors dans la salle d'étude. Durant de longues minutes, ils n'échangèrent aucun mot. Seul le bruit du stylet rompant la surface du sable se faisait entendre. Chensen observait les gestes doux du vieux moine. L'après-midi tirait à sa fin et les ombres des colonnes s'allongeaient sur le sol de la grande pièce. Le Maître montra enfin le désir de se lever. Son disciple lui attrapa le bras pour l'aider. De ses yeux aveugles, le vieil homme semblait contempler l'éternité.
- Accompagne moi au temple, Chensen, et, chemin faisant, tu penseras.

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