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Spoutnik
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13 mars 2004

Obsessions ordinaires

La vie s'étend à des milles et des milles à la ronde. Je sais que je suis au milieu de nulle part. Je suis tout seul. J'ai parfois froid, j'ai souvent peur. Le plus souvent, je regarde et cela me suffit. Je me souviens.

Hier soir, je me suis couché. Je me suis allongé et j'ai posé la tête sur l'oreiller. Comme toujours, des pensées viennent en foule. Ma première tache consiste toujours à les ordonner. A mesure que se construisaient les structures dans mon esprit, j'ai commencé à sentir quelque chose dans mes oreilles. Au lieu de l'habituel sifflement du silence, je ressentais un écoulement bizarre. J'ai compris que la confiture de gingérine s'écoulait de mes oreilles pour se répandre et s'incruster dans le tissu. Mes cheveux collaient à l'oreiller. A mesure que je pensais, l'écoulement s'accentuait et je perdais ma substance. Lorsque je m'arrêtais de penser, l'écoulement s'amenuisait, jusqu'à devenir un mince filet. A un moment, il s'est même totalement arrêté. Je n'osais plus penser, de peur de me vider complètement. Je ne voulais plus plus bouger. Je cherchais à voir le silence. Le froid entrait lentement par mes pieds et remontait le long de mes jambes. Ma tête baignait dans une mare de pensées devenues froides. Je n'avais pas peur. Le sommeil me trouva comme cela.

Le réveil fut une surprise. Il fut glacial également.

Je me levais. Mon premier geste fut d'inspecter mon oreiller. Toute trace de confiture de gingérine en avait disparu. Les draps n'avait pas bougé. La nuit avait été brève. Je pris une douche pour tenter, une fois encore, de réchauffer mes os, puis je m'habillais. Il me fallait sortir, au plus vite. Depuis mon réveil, j'étais animé d'une seule pensée, celle de trouver rapidement de la confiture de gingérine. J'avais peur de me vider de ma substance. J'étais terrorisé à l'idée de me perdre totalement dans le néant. J'espérais pouvoir m'en souvenir. L'oubli serait ma perte.

Dehors, la pluie avait décidé de laver la ville. Mais c'était peine perdue. La saleté et la puanteur s'étaient incrustées depuis tant d'années. Avant, il faisait beau, désormais il faisait nuit. La pluie s'incrustait partout et s'accrochait à ce qu'elle pouvait. Mes épaules étaient lourdes d'être trempées. Avancer était un calvaire tant mes chaussures collaient au sol. Il faisait plus froid que dans mon lit. Je remontais le col de mon manteau et je mis mes mains dans mes poches. Là, je les fis bouger pour tenter, encore une fois, de réchauffer mes os. Je sentis que le doigts de l'une de mes mains étaient poisseux et collaient entre eux. La confiture de gingérine s'écoulait par le bout de mes doigts, sous mes ongles et se répandait dans ma poche. Je pris peur et j'avançais plus vite. Peut être devrai-je prendre le métro ?

Les vitres d'un cafés sont des puits de lumières. Le jour se levait à peine. Il n'y avait pas de clients. Cela m'allait bien. J'ouvris la porte et j'entrais dans la salle. Sans rien dire, je descendis vers les toilettes pour m'arrêter devant le lavabo et me rincer la main. Je l'inspectais avec précaution : mes ongles étaient à leur place, ma main était propre, aucune trace. L'eau avait dû la nettoyer. Je pris peur. Je remontais en courant et sortis précipitamment dans la rue.

Les passants que je croisais me regardaient d'un air étrange. J'eus soudain l'impression de m'être remis à perdre de la confiture de gingérine par les oreilles. Je passais le dos de ma main contre mon cou. Non, il n'y avait rien. C'était seulement la pluie qui me rendait suspect. Plus que d'habitude. Marcher seul. Traverser les rues. Changer de trottoir. Continue, c'était la seule chose qui compte. Le métro était loin désormais. Je devais y aller à pied.

Après des heures de marche sous la pluie je me décidais de m'asseoir sur un banc. J'étais fatigué de devoir lutter contre mes semelles qui collaient au sol. Il fallait que je m'arrête un instant. Le banc était là, tout près, devant le carrefour. Mes derniers pas pour le rejoindre furent douloureux. Je repensais soudain au lavabo dans lequel je m'étais lavé les mains plus tôt. L'eau qui s'écoulait du robinet était pleine de confiture de gingérine. Elle n'avait donc pas pu laver ma main. Ma main s'est remise alors à coller dans ma poche et elle se vidait par les ongles. L'eau sale remplissait le lavabo et pénétrait dans le tuyau. La confiture de gingérine se répandait dans les égouts. La ville devenait poisseuse. Je compris soudain pourquoi mes chaussures collaient. Mes pieds se vidaient ils aussi par les ongles ?

De ma main propre, je m'aidais à m'asseoir sur le banc. Je levais mes pieds du sol. J'étais fatigué. Poser la tête contre le banc fut une nécessité. Je m'allongeais car mon corps était lourd. Comme toujours des pensées vinrent en foule. Ma première tache consiste toujours à les ordonner. A mesure que se construisaient des structures dans mon esprit, j'ai commencé à ressentir mes oreilles. Je me mis rapidement à pleurer, par habitude, en repensant au passé. Mon corps était pris de tremblements, j'avais froid. Mes larmes coulaient jusqu'au sol. Je sentais mes larmes entrer dans les oreilles. Je perdais ma substance. Mes cheveux collaient à la planche de bois dont la peinture s'écaillait lentement. Mes doigts et mes pieds collaient aussi. J'avais peur. J'étais seul. Le sommeil me trouva comme cela, m'apportant sa délivrance factice.


[Bande-Son : Beth Gibbons - "Mysteries"]



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